Lettre à Jean Leloup

De Le wikiCastel
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Sébastien Diaz VOIR 11 novembre 2009

Mon cher Jean,

J'ai une confession à te faire: je l'ai aimée, moi, ta performance au Gala de l'ADISQ. En fait, j'ai vu ça comme le coup de pied au cul dont la proprette télé québécoise avait bien besoin. À preuve, deux semaines plus tard, les blogues sur le Web n'en dérougissent toujours pas:

"Il avait l'air gelé!"

"Jean Leloup se sacre maintenant carrément de son public!"

"Il ne sait plus chanter!"

De toute façon, il y a longtemps que j'ai arrêté d'essayer de te comprendre. À la sortie de ton album Mexico, je t'ai même momentanément déserté, ne reconnaissant plus celui qui m'avait tiré une larme en entonnant I Lost My Baby sur la scène du Métropolis il y a 13 ans, à l'époque où les chansons du Dôme se mêlaient aux effluves de patchouli et de chanvre dans tous les cafés étudiants de la province. N'empêche que le soir de l'ADISQ, je n'ai pu m'empêcher de te regarder jusqu'au bout, scotché à mon téléviseur et complètement bouleversé de te voir débarquer en Mohican rock de l'apocalypse accompagné d'un orchestre reggae et coiffé d'un chapeau de cowboy noir qui te donnait des airs de fossoyeur du Far West. Bonne ou mauvaise, on n'avait pas vu au petit écran pareille performance démentielle et aussi profond je-m'en-fous-et-je-fais-ma-petite-affaire depuis longtemps. Le Fuck You télévisuel de l'automne.

Je ne sais pas si ton cerveau en constante ébullition s'en souvient, mais on s'est croisé la semaine dernière. C'était pour un tournage de l'émission Voir, dans ton local de répétition du Mile-End. Tu sais quoi? Ce matin-là, j'ai compris. J'ai compris qu'entre deux pétages de bulle au cerveau, toi, le grand chaman de la musique québécoise, tu savais très bien ce que tu faisais. Arrivé pile-poil au rendez-vous, à 9 h 30 du matin, coiffé de l'inséparable chapeau noir qui camoufle ta calvitie de rockeur vieillissant, tu as pris le contrôle en à peine 30 secondes:

Vous tournez avec quel type de caméra?

Prends tes photos comme ça!

Laissez-moi vous donner de l'action pour mettre dans votre reportage! C'est de la tivi qu'on fait, esti!

Au fond, mon cher Jean, tu es vraiment le roi du marketing, conscient de ton image de chanteur un peu débile et imprévisible, de la portée de tes propos, du fait que ton spectacle chaotique à Québec, l'an dernier, est loin d'avoir fait l'unanimité. "Les coupures de journaux où on m'a traité de con parce que j'avais insulté la foule et massacré mes chansons sur scène, je les ai gardées! J'avais tout prévu, ça et le show. C'est une œuvre totale que je vais exposer un jour dans un musée!" que tu m'as raconté, assis par terre comme un gamin entre deux répétitions pour ton grand retour sur scène. Mais malheureusement, peu importe ce que tu feras ou diras à présent, c'est le personnage plus grand que nature qu'on jugera d'abord. Au diable la démarche. Au diable l'originalité de l'exécution. John the Wolf, tu n'es plus qu'un fou chantant.

L'ANNEE DE LA BEBITTE

Mais bonne nouvelle, mon Jean: 2009 est une bonne année pour virer sur le top. Tu n'es pas la seule bébitte culturelle qui fasse les manchettes. Cette année, on les célèbre, les bestioles! Il y a ce bon vieux Salvador Dali, l'autre grand roi du marketing et des coups d'éclat publicitaires surréalistes et un peu fêlés, dont on célèbre les 20 ans du décès. Puis il y a le génial auteur Boris Vian, "hommagé" la semaine prochaine au Salon du livre de Montréal. Déjà 50 ans qu'il est mort, complètement paumé malgré une œuvre colossale qui ne ressemblait à aucune autre. Parti complètement passionné par le jazz et obsédé par la pataphysique, l'obscure "science des solutions imaginaires" qui l'a fasciné jusqu'à son dernier souffle. Deux artistes difficiles à cerner, deux créateurs complètement hors de la marge.

Ah oui! J'oubliais, mon Jean. Tu sais qui j'ai croisé la semaine dernière dans le hall du Théâtre du cuivre de Rouyn-Noranda? Une autre bébitte culturelle. Claude Chamberlan, le grand manitou du Festival du Nouveau Cinéma de Montréal, connu autant des cinéphiles de quartier que d'Al Pacino et Wim Wenders. On lui rendait hommage au Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, et il s'est pointé à un soir de première coiffé d'un casque de méduse en plastique pour marquer la fête de l'Halloween. Il ne m'a donné qu'un conseil, à moi, jeune cinéphile impressionné par un des plus grands cerveaux du milieu du cinéma. "Attends à demain et rends-toi chez Jean Coutu. Tu vas pouvoir profiter des soldes pour ton costume de l'an prochain!" Je ne sais pas pourquoi, mais ça m'a fait penser à toi.

Mon cher Jean Leloup, tu as beau être un peu fou, je t'aime quand même. Et au fond, tu es comme les autres de ton espèce. Le roi du marketing artistique.

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La semaine prochaine à l'émission, une entrevue dansante avec la star chorégraphe José Navas, Aurélie Laflamme et les héros littéraires de nos jeunes, et on tente de comprendre pourquoi l'avenir de la musique québécoise passe par Sherbrooke. Mercredi 18 novembre, 21 h, Télé-Québec.